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Les enjeux psychiques de la naissance
L’accouchement et la naissance de l’enfant constituent l’événement clé qui vient clôturer la grossesse et projette la mère, le père et le bébé dans une toute nouvelle dynamique relationnelle.
Il s’agit d’un véritable rite de passage, entouré de multiples représentations imaginaires et fantasmatiques, individuelles et collectives. Ce rite est pensé comme l’incontournable moment qui transforme la femme en mère, qui sublime et accomplit le féminin dans une dimension nouvelle. L’accouchement constitue une expérience physique spécifique associée à une douleur décrite comme intense, incomparable et inégalable. La femme ayant accouché, ayant vécu ce moment particulier, traversé cette épreuve, partage désormais le “secret de la naissance” avec toutes les autres mères. Elle est du “clan” des mères.
L’accouchement est également pensé comme un processus, un chemin initiatique. Il comporte différentes étapes (contractions, perte des eaux, ouverture du col, descente dans le bassin, poussée, délivrance…) vécues et ressenties intimement par la femme, dans son corps, qui lui indique que quelque chose est en route, qui lui fait vivre le cheminement de son enfant depuis son giron enveloppant, protecteur, jusqu’à sa venue au monde.
Mais qu’en est-il pour les femmes qui accouchent par césarienne, lorsque ce processus, ce rite, est entravé, interrompu, voire éludé ?
La spécificité de la césarienne
La survenue de la césarienne comme voie de naissance et d’accouchement constitue toujours l’inattendu (même lorsque celle-ci est programmée voire choisie), dans ce sens où ce n’est pas ce à quoi l’on s’attend à l’issue d’une grossesse, ni ce que l’on espère. La césarienne n’appartient pas au processus physiologique et naturel de l’accouchement, elle est en dehors des représentations imaginaires de la naissance.
Cet événement constitue une rupture dans le processus d’accouchement. La césarienne est une extraction rapide de l’enfant hors de l’utérus maternel, elle emprunte un chemin détourné qui interrompt et s’oppose à la notion de processus.
Face à cette intervention médicale, chirurgicale, les femmes vivent fréquemment un sentiment de perte de contrôle de leur corps, et s’en remettent à un tiers pour faire naître leur enfant. L’anesthésie, et la perte effective des capacités motrices et de la sensibilité, ainsi qu’un certain nombres d’effets secondaires parfois observés (fourmillements, vertiges, vomissements…) accentuent encore ce sentiment d’échapper à la maîtrise de son corps propre et de ne pouvoir participer pleinement à l’acte de mise au monde.
Nombreuses sont celles qui traduisent cela en termes de défaillance et d’incapacité, les laissant penser, à tort, qu’elles ont échoué dans l’une de leurs premières missions maternelles.
L’angoisse suscitée par la situation trouve parfois un chemin d’expression dans un processus de dissociation psychique qui rompt les liens entre l’expérience corporelle et la représentation psychique de celle-ci (pensées, émotions). La femme peut alors vivre un sentiment de dépersonnalisation, l’impression de ne plus tout à fait habiter son corps, de devenir spectatrice extérieure des évènements. La présence du champ opératoire et la coupure visuelle qu’il impose entre le haut et le bas du corps renforcent encore ce mouvement dissociatif.
Une telle expérience vient perturber le sentiment de continuité entre son état de grossesse et l’arrivée d’un nouveau né. La naissance n’a pour ainsi dire pas eu lieu ou s’est déroulée en dehors de la présence maternelle. Il arrive ainsi que la mère doute de la réalité de l’événement, ou ne reconnaisse pas l’enfant qu’on lui présente comme étant le sien.
La relation au corps médical et paramédical est elle aussi modifiée lors de l’expérience de la césarienne. Avant tout pensés comme des accompagnants, lors d’un accouchement physiologique, les professionnels deviennent des intervenants techniciens, lorsqu’il s’agit d’extraire l’enfant (on retrouve également cela dans les accouchement instrumentalisés – ventouse, forceps). La femme s’en remet alors à un tiers compétent (vécu comme plus compétent qu’elle), pour un acte dont elle pensait jusque là pouvoir être l’actrice principale. L’ambiance froide et hyper médicalisée du bloc opératoire, l’agitation du personnel en présence, les sons, les odeurs, rendent plus difficile l’accès au sentiment de sécurité intérieur dont a besoin une femme sur le point d’accoucher.
Puis vient s’imposer à elle l’acte chirurgical, consistant en l’incision de plusieurs couches de tissus, générant des représentations violentes d’attaque du corps.
Cette effraction corporelle peut être vécue à des degrés divers par les femmes, de la simple blessure au sentiment extrêmement violent d’une véritable éventration, source possible de traumatisme psychique.
La trace inscrite sur la peau que laisse la cicatrice, mémoire de cette naissance pas comme les autres, pourra également, par la suite, être investie de projections et représentations plus ou moins vives et douloureuses.
Pour toutes ces raisons, il est fréquent que les femmes ayant accouché par césarienne se sentent en difficulté après la naissance de leur enfant.
Douleur, culpabilité, sentiment d’échec, perte de l’estime de soi, insécurité, difficulté maternelle, ne doivent pas rester sans réponse et peuvent être entendus et accompagnés par un professionnel.
Césarienne programmée et césarienne en urgence
Les indications thérapeutiques menant au choix de pratiquer une césarienne sont nombreuses et les conditions dans lesquelles elle se déroule sont multiples également.
Il est évident que les circonstances dans lesquelles se déroule l’intervention ainsi que le degré d’urgence médicale qui l’accompagne impacteront différemment les femmes et les couples qui la subissent.
- La césarienne programmée
Il s’agit d’une décision médicale concertée qui permet d’anticiper et de prévoir la naissance de l’enfant par césarienne. Cette décision peut être prise à différents moments de la grossesse et parfois même avant la conception. Cela offre la possibilité aux femmes et aux couples d’anticiper et de se préparer (avec un délai plus ou moins long) au déroulement de cet accouchement. Lorsque la décision est prise assez tôt, il est possible de s’informer précisément et d’interroger les équipes sur tout ce qui peut questionner, inquiéter. C’est l’occasion de réfléchir à un projet de naissance qui puisse répondre au mieux aux besoins de la femme et du couple pour l’accueil de leur bébé.
Le travail de renoncement à l’accouchement idéal peut donc s’inscrire dans une temporalité qui précède le moment de l’accouchement réel, pour qu’une nouvelle création imaginaire puisse s’instaurer autour de la césarienne “idéale”. Bien entendu, cette nouvelle représentation de l’événement à venir sera, elle aussi, confrontée à l’accouchement réel qui pourra comporter une part plus ou moins importante de décalage avec l’accouchement imaginé, créant de possibles frustrations et blessures narcissiques.
Il semble, toutefois, que cette possibilité d’anticipation, d’information et de préparation redonne aux femmes une part active dans leur accouchement, ce qui favorise un meilleur vécu psychologique de la césarienne.
- La césarienne en urgence
Il s’agit cette fois d’une décision médicale prise au cours du processus d’accouchement, dans ce moment où la mère s’apprête à mettre au monde son enfant. Elle peut se décider à différentes étapes du processus (du début du travail jusqu’à la phase d’expulsion) mais elle signe toujours une problématique médicale mettant en jeu de façon plus ou moins imminente la vie de la mère et/ou du bébé.
Cet élément d’inquiétude, qui survient plus ou moins brusquement et transmis de façon plus ou moins anxiogène par les équipes de professionnels, génère souvent un état de sidération, et un sentiment d’impuissance et de culpabilité chez les mères, tel que nous l’avons décrit plus haut. L’atmosphère s’emplit soudain d’une certaine agitation et précipitation qui ne permet pas toujours que des informations soient suffisamment transmises aux parents et qu’une attention soit portée à leur besoin de réassurance. Aucun travail psychique ne peut se faire dans l’instant qui permette d’appréhender cet événement avec tranquillité. Ce n’est que dans l’après coup qu’il pourra être repensé et élaboré pour donner sens à l’histoire de cette naissance.
Dans les cas les plus graves, le choix est pris d’une anesthésie générale, qui extrait la mère de manière radicale de la scène d’accouchement. Ce sont ces situations qui sont le plus à risques du point de vue psychologique également.
L’établissement du lien mère-enfant
L’ensemble des difficultés relatives à l’accouchement par césarienne peut également venir impacter les premiers instants de la rencontre entre le bébé et son nouveau monde.
La mère ainsi éprouvée par le bouleversement de son projet de naissance (au sens de la construction psychique anticipée d’un accouchement idéalisé) ainsi que la multitude d’émotions ressenties autour de son identité corporelle et de sa capacité maternelle, peut se trouver en difficulté pour accueillir pleinement son enfant lorsqu’elle le tient enfin dans ses bras.
Il faut rappeler que dans de très nombreux cas, il se passe plusieurs heures de séparation effective entre la mère et l’enfant dans les suites immédiates de la naissance. L’enfant, généralement présenté rapidement à la mère, est ensuite pris en charge par les professionnels et le père quand c’est possible, le temps pour la mère que s’achève l’intervention chirurgicale et s’écoule un temps de surveillance post-opératoire.
Il ne suffit pas de partager des gènes, ni même d’avoir vécu plusieurs mois dans un même corps pour se reconnaître et s’aimer au premier instant. Rencontrer son enfant et établir avec lui un lien d’amour puissant tient à un processus de transformation psychique très largement étayé par une rencontre sensorielle, et en particulier le regard et le toucher. La mère doit être en mesure de se donner pleinement et de partager sa totalité psychique avec le nouveau né, qui vient de vivre la rupture et la perte du monde utérin sécurisant.
Tous les bouleversements psychologiques précédemment évoqués autour de l’accouchement par césarienne, ainsi que le différé de la rencontre effective entre la mère et le bébé, peuvent venir retarder ou entraver l’établissement des premiers liens. Dans les suites de couches, parfois très douloureuses, la mère peut aussi se trouver en difficulté pour assurer les soins, et continuer de ressentir une forme de dépendance à un tiers dans la gestion de sa parentalité, qui vient résonner avec le sentiment d’incapacité ou d’insuffisance suscité par l’expérience de la césarienne.
L’allaitement au sein, parfois choisi ou pensé comme compensation aux défaillances ressenties ou supposées par la mère, peut lui aussi être perturbé par la césarienne : montée de lait tardive, douleurs lors de la tétée, inconfort et difficulté avec les positions classiques d’allaitement…
Dans la majorité des cas, les difficultés sont rapidement surmontées et la rencontre mère-bébé peut avoir lieu dans les heures ou les jours qui suivent la naissance. Mais parfois, la femme fragilisée et attaquée dans son identité, pourra se sentir indigne d’être mère et se détourner, plus ou moins consciemment, de son enfant. Elle vit alors ce qu’on appelle la difficulté maternelle. Le développement et l’équilibre affectif de l’enfant peuvent alors eux aussi être perturbés.
Pour une naissance plus respectueuse
Les équipes des maternités travaillent actuellement à proposer des alternatives permettant aux femmes de mieux vivre leur accouchement par césarienne et limiter ainsi l’impact psychologique de cette intervention pour la mère et l’enfant en devenir. Certains lieux ont déjà bien avancé dans leurs pratiques et proposent autant que possible des aménagements permettant de réhumaniser cette naissance et l’accueil du nouveau-né.
En premier lieu, l’accès à l’information est un des points essentiels pour accompagner la femme face à la césarienne, et probablement le plus facile à mettre en oeuvre. La césarienne comme voie d’accouchement possible devrait pouvoir être abordée systématiquement dans toutes les préparations à la naissance. Une façon de pouvoir l’envisager comme un scénario potentiel pour ne pas se laisser déborder par l’inattendu lors de sa survenue.
Prendre le temps également, autant que possible, d’informer les parents au moment où la césarienne est envisagée pour la naissance de leur bébé : pourquoi ce choix est fait, comment les choses vont se dérouler, puis prendre le temps d’accueillir l’angoisse et répondre aux questions des parents.
Le second élément, et sans doute le plus important à mobiliser, concerne l’ensemble des dispositions permettant d’assurer la sécurité affective de la mère. Il est primordial que quelqu’un soit disponible auprès d’elle pour lui tenir la main, la rassurer, la soutenir et valider sa compétence maternelle. Le conjoint est bien sûr la première personne susceptible de tenir cette place. Et il me semble que sa présence devrait être possible dès l’entrée au bloc opératoire, durant tout le temps de préparation, et pas seulement lors de l’extraction de l’enfant. Car c’est dans cet entre-deux de la décision (pour les césariennes d’urgence) et de la première incision que s’installent les angoisses et le sentiment de dépersonnalisation décrit dans un précédent paragraphe. C’est à ce moment là, plus que jamais, que la femme a besoin d’avoir quelqu’un à ses côtés qui lui fasse vivre un sentiment de continuité, qui accueille puis apaise toutes les angoisses qui s’expriment. S’il n’est pas possible que le père, ou la compagne, soit présent(e), un professionnel (sage femme, infirmière, auxiliaire de puericulture…) pourra parfaitement tenir ce rôle.
La femme, si elle y a été préparée, peut également se mobiliser de manière active dans la naissance de son bébé pour se réapproprier son accouchement et lutter contre un vécu dissociatif. Les préparations à la naissance de type haptonomie et sophrologie peuvent aider au travail de communication affective avec son enfant pour le guider et accompagner en pensées son cheminement de l’intra à l’extra utérin, une disposition psychique propre à apaiser la mère comme le bébé. Un professionnel formé pourra également proposer ce type d’accompagnement, par la voix, au moment de la césarienne, même à un couple n’ayant pas suivi de préparation spécifique.
Les équipes peuvent aussi favoriser la pleine participation de la mère en partageant oralement leur vécu de l’accouchement, les gestes qu’ils pratiquent, ce qu’ils voient ou perçoivent du bébé (“là je sors sa tête, son dos, ses pieds…quel joli bébé”, etc.). D’autres encore pourront proposer à la mère d’exercer une poussée au moment où l’enfant est extrait, pour accompagner sa sortie et rapprocher la mère d’une expérience plus physiologique dans laquelle elle serait actrice.
Le quatrième élément favorisant un meilleur vécu de la césarienne concerne la mise en place des premiers liens mère-bébé. Il est essentiel que soit proposée le plus tôt possible la rencontre entre la mère et son enfant. S’il est maintenant répandu de “présenter” le nouveau né à la mère, il s’agit en général d’un moment très furtif ne laissant pas la place à une véritable rencontre. Et pourtant, les premiers regards, les caresses et le partage des odeurs dès les premiers instants de vie conditionnent la qualité de la relation entre un bébé et sa mère. Pourquoi leur imposer une séparation immédiate (et prolongée) et la perte de repères qu’elle impose au tout petit déjà tant éprouvé par la perte de son milieu d’origine ? Il semble au contraire opportun de permettre autant que possible un peau à peau immédiat (ou presque) et prolongé, tel qu’il est pratiqué pour les accouchements physiologiques, favorisant également la première tétée pour les femmes ayant choisi l’allaitement maternel. Lorsque cela est vraiment impossible, on veillera à proposer un accueil en peau à peau avec l’autre parent et on tentera de rassembler au plus vite le bébé et sa mère.
En dernier lieu, il apparaît nécessaire de rester à l’écoute des mères sur leur ressentis et leur besoins en suites de couches. Un accouchement par césarienne (et tous les autres également) devrait faire l’objet systématique d’un entretien post-natal, offrant à la mère la possibilité de s’exprimer sur son vécu autour de cette naissance. Cela permettrait à la fois aux mères de mentaliser leur expérience et de transformer les émotions qui y sont attachées, mais également aux équipes d’accéder à la réalité psychique de leurs patientes et de faire évoluer leurs pratiques dans le sens d’un meilleur respect des besoins des femmes et des bébés.
Durant tout le temps d’hospitalisation de la jeune parturiente, il sera essentiel de rester disponible à ses demandes et ne pas préjuger de ses besoins. Certaines auront besoin de beaucoup d’aide et de repos, d’autres auront le souhait d’investir au maximum tous les soins à leur bébé et vivront moins bien la présence soutenue des professionnels ou les propositions de relais. Il s’agira toujours de proposer, sans jamais rien imposer ni refuser, et rester ouvert et attentif à toutes les formes d’expression d’une difficulté.
Quels qu’en soient les motifs, si vous vous sentez mal après votre accouchement, que vous ne parvenez pas à vous apaiser et que cela altère vos relations, vous pouvez solliciter l’aide d’un psychologue. La maternité et l’accouchement ne sont pas des expériences magiques pour toutes, chacune a le droit d’être entendue, reconnue et soutenue dans l’intimité de ses sentiments.
Vous pouvez également trouver des informations, des témoignages et du soutien auprès de l’association Césarine.